Septembre ! C’est la rentrée scolaire pour les jeunes sauvaginiers mais c’est aussi une période privilégiée pour voir débarquer sur le littoral bon nombre de voyageur ailés… Nous avons rendez-vous avec Jordan, un jeune passionné de chasse au gibier d’eau en Baie du Mont Saint Michel.
Il est 3h du matin en cette mi-septembre, quand le réveille sonne… Ça pique ! Jordan que nous avons rejoints la veille prend le temps d’avaler son petit-déjeuner puis s’active…
« Allez on ne traine pas ! On va attraper les canards, prendre une pelle, les waders, un sac de blettes et mon jeune labrador, explique le chasseur. J’espère que l’orage va se calmer car je n’ai pas trop envie de subir la foudre au milieu de la baie… ».
Frontale vissée sur la tête sous un torrent de pluie il attrape une « pouque » en lin et rentre dans le parc pour sélectionner ses coéquipiers de la matinée. Après quelques coups d’épuisette, voilà, 2 chanteuses, 2 malards et 1 cane mignon qui sont prêts à être mis dans le coffre de l’utilitaire. L’orage sévit toujours mais pas le choix, il faut y aller. La voiture démarre et après quelques kilomètres nous nous stationnons à quelques lieux de la zone de chasse. Le temps de s’habiller, notre hôte nous raconte le dérouler de la matinée…
« Nous allons traverser les grèves à pied et nous allons faire en sorte de trouver une place de chasse le long de la rivière. L’idéal est de trouver un petit talus surplombant une rivière large d’au moins 30m et peu profonde. Nous creuserons ainsi notre trou sur le talus ».
Comme les pèlerins depuis la nuit des temps, nous entamons la marche au milieu de cette magnifique baie en direction du Mont Saint Michel. La foudre tape sur le haut pays et nous permet de distinguer la rivière que nous devons rejoindre au loin. La zone de chasse que notre ami avait repéré la veille est désormais à 100m, un petit coup de frontale en cette direction, et là, surprise, des colverts se font entendre et une frontale s’allume ! Dommage, la place est déjà prise… Tant pis, demi-tour, nous allons remonter la rivière et trouver une nouvelle place. Nous apercevons deux autres équipes en train de s’installer sur les quelques talus disponibles et au bout de 45 minutes de marche sous la pluie une jolie place s’offre à nous. Un beau talus surplombe une rivière plate et large, c’est l’endroit idéal !
Enfin en place !
En vitesse notre ami sort ses appelants un à un et les attache chacun à un fer à cheval faisant office de poids. Il dispose une trentaine de blettes devant lui dans ce bras d’eau qui se jette dans la mer et dispose ses appelants d’une manière stratégique…
« Je mets les chanteuses à 60 mètres dans la rivière vers l’arrivée du gibier, et ça tombe bien le vent pousse dans ce sens. En se rapprochant du trou je place ma cane mignon censée faire tomber le gibier juste devant et mes deux malards finiront de rassurer le gibier prêt à poser à portée de tir. Il y a un mâle avec lequel je fais du malonnage. Quand le jour se lèvera j’irai le reprendre pour le lancer ».
Une fois le stratagème disposé, il faut quelques coups de pelle pour creuser le poste de chasse. Seule la tête doit dépasser pour espérons-le, voir les migrateurs arriver sur le piège … Le lever du jour se situe autour de 7h30 et 2 heures avant le fusil peut donc être chargé pour faire feu. En regardant nos montres, nous nous apercevons qu’il est déjà 6h et que le jour ne va pas tarder à se lever. Au loin résonne déjà quelques rares coups envoyés par d’autres chasseurs au trou… Notre ami nous dit que c’est de bon augure et qu’il y a sûrement des oiseaux en baie ! Quelques pluviers et chevaliers se font entendre dans l’obscurité, ce sont des migrateurs ! Un sentiment d’excitation se fait ressentir ! Les lueurs dorées commencent doucement à éclairer la zone de chasse quand les appelants se mettent à forcer… Le fusil serré dans les mains, seuls les yeux de notre chasseur dépassent du trou, il n’a rien vu. Les chanteuses se font entendre à nouveau et là, devant, à 15 mètres passent 3 canards à la vitesse d’une fusée bien aidés par le vent ! Ils passent sans même que notre chasseur n’ait le temps de mettre à l’épaule son semi-auto de calibre 12.
« Ce sont des siffleurs ! Attention il ne faut pas bouger, ils vont revenir ! ».
Quelques coups d’ailes et les 3 oiseaux entament un virage à 100 mètres leur permettant d’arriver face au vent sur la zone de tir… Les brouteurs arrivent, ils sont prêts à poser et Jordan les laisse faire mais pris de peur, ils remontent comme des flèches et notre chasseur se lève de son trou… Pan ! Un siffleur tombe comme un caillou, Pan ! Rebelotte, Pan ! Le troisième coup est raté, dommage ! Notre chasseur est fier de son doublé mais déçu d’avoir raté le triplé… Qu’importe, ce sont ses premiers siffleurs de la saison ! Il appelle son jeune chien « Topette » et lui fait rapporter les oiseaux… Pas de temps à perdre c’est le début de la passée et quelques occasions pourront peut-être se représenter !
Une belle volée de sarcelles…
La matinée se poursuit, cette passée lui a déjà offert ce beau couple de siffleur, un mâle adulte a déjà des couleurs bien avancées, de quoi avoir le sourire … ! Une trentaine de minutes plus tard, une jolie volée de sarcelles virevolte sur les grèves et la rivière… La pression monte, elles arrivent en rang serré droit sur notre chasseur. Elles sortent les pattes, cassent les ailes et s’apprêtent à poser ! L’ensemble du groupe met les pattes à l’eau mais la première décide de ne pas se poser ici et toute cette petite volée décide de la suivre ! Notre sauvaginier voulant les faire poser décide tout de même de les tirer quand elles quittent la zone de pose, il tue la dernière de ce petit paquet… Ouf ! Il est content mais déçu, il a raté l’occasion de faire un sacré coup de râteau…
Le ciel se dégage et la pluie s’estompe pour laisser place au soleil… Les mouettes et goélands passent par centaines devant le poste. Ces oiseaux quittent la baie qui leur sert de dortoir pour se nourrir dans les cultures du haut pays. C’est le moment propice pour se faire tromper par un oiseau qui passe au travers de ces nuées de laridés. Un nouveau groupe de palmipèdes est en approche, on y distingue souchets et sarcelles… Ils passent une première fois hors de portée de tir, malgré les appels incessants de leurs congénères domestiques. Jordan saute du trou et va chercher son mâle volant pour essayer de changer de stratégie… Le groupe d’oiseau revient, mais cette fois-ci « vent au cul » et à 60 mètres de hauteur. Les voyant arriver notre ami jette son malard et le groupe intrigué par cet oiseau qui se pose décide de revenir. Le groupe d’oiseaux passe à une vitesse folle mais notre chasseur sait qu’ils ne se représenteront pas mieux… Il jaillit de son trou et réussi à décrocher une sarcelle dans ce groupe !
« J’ai visé les deux souchets qui étaient en tête de ce groupe mais c’est la dernière sarcelle du groupe qui tombe ! C’est dingue ! »
Le jour est bien levé et comme à leur habitude c’est le moment où les limicoles sont les plus actifs. D’ailleurs, c’est un régal pour les yeux et pour les oreilles ! Ces oiseaux passionnent Jordan qui nous montre à quel point ils réagissent à la mélodie qui sort de ses doigts… Des oiseaux avec d’incroyables couleurs viennent s’abattre sur le trou. Vers 8h30, il réussit à faire tomber le premier limicole de la matinée : un pluvier argenté tout en couleurs, une véritable gravure…. Le temps passe et pour satisfaire notre hôte, un pluvier doré se fait entendre au loin…
« Ce n’est pas le plus malin des limicoles et en général il vient très bien au sifflet ! »
Il ne s’est pas trompé l’oiseau viendra rejoindre le trou quelques secondes plus tard… Il est 9h30, des chevaliers gambettes sont en vadrouille sur la rivière, « Tiululu, Tiululu, Tiululu… » des pieds rouges nous annonce le siffleux. Une paire d’oiseaux, tous les deux très bavards arrivent au ras de l’eau, la tête du chasseur se blottit dans le trou et les limicoles passent sur l’attelage. Un premier coup de fusil sort de son Browning et un oiseau tombe net, Jordan prend le temps d’ajuster le second qui accuse le coup, nous le voyons chuter mais avec surprise se relancer ! Un plomb mal placé l’a seulement déstabilisé et l’oiseau actuellement en hémorragie s’en va pour s’écrouler à une centaine de mètres… Un autre chasseur récolte cette proie au vol ! Un faucon pèlerin, qui avec adresse se saisit de l’oiseau et s’en va comme il est venu… Apparemment, il suivait la scène de près et notre chasseur est médusé mais en rigole, il sait que cet oiseau, tout comme lui, a besoin de chasser… pour survivre !
Les heures passent et cette baie continue d’être animée par les migrateurs, des pilets passent au loin mais sont bien trop malins pour se laisser leurrer aujourd’hui… Balbuzards pêcheurs, busards des roseaux et Saint-Martin se laissent admirer quand 8 sarcelles jaillissent de nulle part ! Pas le temps de se préparer, ni de se cacher que les oiseaux refusent encore la pose et s’en vont… Une sarcelle sera prélevée et viendra garnir un tableau final à la hauteur des émotions offertes depuis le saut du lit !
L’attelage est prêt à être remballé, notre chasseur observe les oiseaux que Saint Hubert lui a offert. Il nous dit que ce matin il est chanceux car rares sont les matinées animées comme celle-ci. La météo a été favorable et dieu qu’il faut être motivé pour pratiquer cette chasse éprouvante physiquement.
Il est temps de repartir… Les appelants rejoignent leur sac de transport, les douilles sont ramassées et c’est avec émotion que les 3 sarcelles, les 2 siffleurs et la poignée de limicoles viennent rejoindre le porte gibier… Que cette chasse d’été est belle, il faudrait être fou pour ne pas en profiter.
Dadoun Normand